Lomé Actu, 27 Juin 2025- À chaque crise, à chaque manifestation, à chaque déclaration tonitruante dans les médias d’Etat ou privés ou sur les réseaux sociaux , un mot revient, invoqué par tous, justifié par tous : le peuple. Les dirigeants s’en revendiquent, les opposants s’en prétendent les véritables porte-voix, les influenceurs de la diaspora parlent en son nom, et même les intellectuels veulent éduquer ce « peuple » qu’ils considèrent souvent à distance. Mais qui est vraiment le peuple togolais ? Et surtout, où était-il lors des derniers grands bouleversements politiques du pays ?
Un peuple invoqué, mais fragmenté
Ce 26 juin 2025 marque le début d’une série de manifestations lancées par des figures de la diaspora pour demander la démission du président Faure Gnassingbé. À Lomé, des jeunes affrontent les forces de l’ordre, des pneus brûlent à Bè, Adakpamé ou Dékon. Les quartiers calmes observent à distance. Pourtant, ce mouvement est censé être conduit au nom du peuple. Mais ce peuple est-il vraiment uni ?
Aujourd’hui, le Togo semble divisé en plusieurs strates :
- Une élite gouvernante qui concentre les décisions, les privilèges et les leviers de pouvoir.
- Une classe d’arrivistes — entrepreuneurs, artistes, stars, footballeurs — qui gravitent autour du pouvoir, espérant un jour en faire partie.
- Un bas peuple rattaché aux arrivistes : influenceurs, figures publiques, qui bénéficient de miettes de reconnaissance et ferment souvent les yeux sur les injustices.
- Et enfin, la majorité silencieuse, marginalisée, qui n’a ni voix, ni relais, ni formation politique suffisante pour peser dans les débats.
Une Constitution ignorée, un système méconnu
La dernière réforme constitutionnelle de 2024, qui a fait passer le Togo en Cinquième République avec un système parlementaire, est révélatrice. Une frange significative de la population ignore encore que ce changement a eu lieu. Même certains juristes et journalistes peinent à en expliquer les nuances. Cela montre l’abîme entre les mécanismes de la République et ceux qui sont censés la faire vivre : les citoyens.
L’ignorance citoyenne comme outil de domination
Comment un peuple peut-il s’indigner efficacement, se mobiliser intelligemment, proposer des alternatives, quand il ignore ce qu’est un décret, une ordonnance, une manifestation spontanée ? L’absence d’éducation civique de masse est le véritable verrou qui empêche toute transformation durable.
C’est dans ce vide que s’engouffrent les opportunistes de tous bords. Résultat : le peuple est un décor rhétorique, une incantation. Il n’est pas l’acteur principal, mais le prétexte justifiant des stratégies politiques.
Redonner du sens au mot « peuple »
Si être du peuple signifie aujourd’hui survivre sans rien comprendre aux décisions qui changent sa vie, alors il faut rompre ce cycle. Le véritable peuple n’est pas celui qui crie le plus fort ou celui qu’on voit à la télévision. C’est celui qui subit, souvent en silence, mais qui attend de comprendre comment reprendre la main.
Des solutions concrètes existent loin du divertissement
Éduquer le peuple, ce n’est pas le mépriser. C’est le considérer comme la clé. Cela passe par :
- Des contenus pédagogiques simples et multilingues expliquant les institutions, les lois, les procédures.
- Des émissions radios populaires dédiées à l’éducation citoyenne.
- L’implication d’acteurs locaux — leaders communautaires, enseignants, journalistes — dans la transmission des savoirs civiques.
Il ne suffit plus de parler au nom du peuple. Il faut inclure le peuple. L’écouter. Le former. Le responsabiliser. Car tant que l’immense majorité des Togolais ignorera comment fonctionne leur propre État, ils resteront des figurants d’un scénario écrit par d’autres.
Le peuple togolais doit redevenir acteur de l’Histoire. Non pas celui qu’on utilise pour justifier un agenda, mais celui qui comprend, décide, s’organise, et bâtit.