Lomé Actu, 4 février 2025 – Vingt ans après la disparition de Gnassingbé Eyadéma, un colloque en son honneur relance une vieille controverse : qui mérite réellement le titre de « Père de la Nation » au Togo ? Entre reconnaissance officielle et querelles mémorielles, cette question dépasse le simple hommage pour s’inscrire dans un débat historique et politique profond.
Un titre prestigieux, une origine contestée
Le titre de « Père de la Nation » est couramment utilisé pour désigner le fondateur ou le principal artisan de l’indépendance d’un pays. Dans plusieurs nations, ce titre est attribué sans contestation :
- George Washington aux États-Unis, pour avoir mené la guerre d’indépendance et fondé la république.
- Mahatma Gandhi en Inde, pour son rôle pacifique dans l’émancipation du pays face au Royaume-Uni.
- Kwame Nkrumah au Ghana, reconnu pour avoir mené son pays à l’indépendance en 1957.
- Jomo Kenyatta au Kenya, premier président et figure majeure du nationalisme africain.
Au Togo, le débat reste ouvert. Deux figures historiques cristallisent les opinions : Sylvanus Olympio, premier président démocratiquement élu et artisan de l’indépendance, et Gnassingbé Eyadéma, chef d’État durant 38 ans avec le maintien de la paix ..
L’ANC crie à l’ »imposture historique »
Le 3 février 2025, lors du colloque organisé à Lomé en hommage à Gnassingbé Eyadéma, le gouvernement togolais a suggéré de le reconnaître officiellement comme « Père de la Nation ». Une déclaration qui a immédiatement suscité une vive réaction de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre.
Dans un communiqué tranchant, l’ANC dénonce « une tentative de réécriture de l’histoire » et rappelle que Sylvanus Olympio, assassiné le 13 janvier 1963, est le véritable fondateur du Togo indépendant.
« Il est inacceptable de voir attribuer ce titre à celui qui a publiquement avoué être l’auteur du meurtre de Sylvanus Olympio. Eyadéma n’a pas lutté pour l’indépendance, il a servi dans l’armée coloniale française. Sylvanus Olympio, lui, a conduit le pays à la souveraineté en 1960. »
Le parti accuse également le régime actuel, dirigé par Faure Gnassingbé, de vouloir « effacer le rôle des véritables héros nationaux » au profit d’une « dynastie » au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle.
Olympio et Eyadéma : deux visions du Togo
L’opposition politique n’est pas la seule à s’opposer à cette relecture de l’histoire. Pour les historiens, la comparaison entre Sylvanus Olympio et Gnassingbé Eyadéma met en évidence deux visions totalement opposées du Togo :
- Olympio, intellectuel et économiste, prônait une indépendance économique totale, refusant de maintenir le Togo sous influence française. Il voulait créer une monnaie nationale pour rompre avec le franc CFA.
- Eyadéma, militaire et pragmatique, s’est inscrit dans une logique de stabilité autoritaire, consolidant son pouvoir par la force et s’alignant sur les intérêts français pour assurer sa longévité politique.
L’assassinat d’Olympio en 1963 a brutalement interrompu le projet d’un Togo autonome, tandis que le coup d’État de 1967 a marqué le début d’un régime militaire qui a duré jusqu’en 2005 dans la stabilité et la paix .
Un débat toujours d’actualité
Au-delà du symbolisme, cette querelle historique soulève une question plus large : qui écrit l’histoire ? Chaque régime tente de construire un récit national qui sert ses intérêts, et la mémoire d’un pays est souvent façonnée par ceux qui le dirigent.
L’ANC appelle à une reconnaissance officielle de Sylvanus Olympio comme unique « Père de la Nation », tandis que le gouvernement continue d’exalter l’héritage d’Eyadéma.
Mais pour les Togolais, le vrai débat ne se situe peut-être pas dans le passé, mais dans l’avenir : quel modèle politique et économique incarnera le Togo de demain ?
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